Un soir où Bertrand était d’humeur mauvaise, il m’affirma que, vu ma constitution, si j’étais une truite, je n’aurais pas la “maille” !
Je ne peux hélas lui donner tort. Il est vrai que je suis de nature chétive, ma santé a des points communs avec certaines rivières de l’hexagone : elle est polluée par les algues et conserve ses niveaux d’étiage une bonne partie de l’année !
La rancune étant l’arme du pauvre, je bénis malgré tout la nature de m’avoir donné l’essentiel : une canne, des mouches et du poisson !
Cette année là, l’apocalypse annoncée par certains visionnaires optimistes n’avait pas eu lieu. Pour l’humanité, le passage au second millénaire s’était opéré sans heurt, dans la liesse, l’alcool et la bonne humeur. Si “bug” il y avait eu, c’est du coté de mes analyses sanguines qu’il fallait le trouver. J’étais complètement “bugué” et franchement déprimé !
Les infirmières sont des sirènes envoûtantes, toutes dévouées aux naufragés des maux du corps ! Il n’empêche que j’avais l’esprit ailleurs. Je ressentais au plus profond de moi l’écho d’un appel : celui des rivières de mon cœur. Je ne pouvais réfréner ce désir obsessionnel, il me fallait quitter le cocon de l’hôpital le plus vite possible pour assouvir ma passion. Le stade ultime de la frustration venait d’être franchi. Il me semblait même sentir me pousser des écailles. Qu’on me laisse encore trois jours cloîtré entre les murs blancs de cette chambre et je risquerais de finir nageant dans le lavabo en attendant une hypothétique éclosion. Mon équilibre mental commençait à prendre l’eau. Le compte à rebours s’était déclenché, il était temps de penser aux choses sérieuses : l’ouverture ! Lire la Suite