Un histoire de fou

Un soir où Bertrand était d’humeur mauvaise, il m’affirma que, vu ma constitution, si j’étais une truite, je n’aurais pas la “maille” !
Je ne peux hélas lui donner tort. Il est vrai que je suis de nature chétive, ma santé a des points communs avec certaines rivières de l’hexagone : elle est polluée par les algues et conserve ses niveaux d’étiage une bonne partie de l’année !
La rancune étant l’arme du pauvre, je bénis malgré tout la nature de m’avoir donné l’essentiel : une canne, des mouches et du poisson !

Cette année là, l’apocalypse annoncée par certains visionnaires optimistes n’avait pas eu lieu. Pour l’humanité, le passage au second millénaire s’était opéré sans heurt, dans la liesse, l’alcool et la bonne humeur. Si “bug” il y avait eu, c’est du coté de mes analyses sanguines qu’il fallait le trouver. J’étais complètement “bugué” et franchement déprimé !

Les infirmières sont des sirènes envoûtantes, toutes dévouées aux naufragés des maux du corps ! Il n’empêche que j’avais l’esprit ailleurs. Je ressentais au plus profond de moi l’écho d’un appel : celui des rivières de mon cœur. Je ne pouvais réfréner ce désir obsessionnel, il me fallait quitter le cocon de l’hôpital le plus vite possible pour assouvir ma passion. Le stade ultime de la frustration venait d’être franchi. Il me semblait même sentir me pousser des écailles. Qu’on me laisse encore trois jours cloîtré entre les murs blancs de cette chambre et je risquerais de finir nageant dans le lavabo en attendant une hypothétique éclosion. Mon équilibre mental commençait à prendre l’eau. Le compte à rebours s’était déclenché, il était temps de penser aux choses sérieuses : l’ouverture ! Lire la Suite

La chauve-souris

C’est là, à la tombée du jour, à l’instant même où les gros sedges prennent un envol désordonné, où les mémères du radier se décident enfin à quitter les profondeurs pour se gaver de ses sucreries virevoltant aux raz des eaux, que je commence à sévir !
J’arrive, Dieu ne sait d’où, me confondant avec la nuit, ma tendre alliée. Longtemps considérée comme un suppôt du maître des ténèbres, j’ai gardé en souvenir de cette époque le noir comme habit, et un masque de vampire pour effrayer les égarés.
Crains-moi, pêcheur, car de ton coup du soir je peux faire un terrible cauchemar !
Dans l’inconscient collectif, la chauve-souris est un être effrayant, suceur de sang, envoyé de l’enfer pour prendre possession de nos pauvres âmes. Dans le conscient du pêcheur à la mouche, la chauve-souris est une « emmerdeuse » qui a la fâcheuse tendance à s’emmêler dans la soie au moment le plus tragique ! L’animal possède soit disant un sonar dernier cri et toutes options, une vraie petite merveille technologique, produit de milliers d’années d’évolution. Même la NASA en rêve des sonars de chauves-souris, j’en conclus qu’on ne pêchent pas à la mouche sur le pourtour de Cap Canaveral ! Pour ma part, j’ai beaucoup de peine à le considérer, le sonar de Mademoiselle « Rhinolophus hipposideros », comme totalement fiable et pour cause… Lire la Suite

La secte

Le problème des rivières se situant à proximité des grandes villes, c’est le nombre incalculable d’illuminés que l’on peut y rencontrer !
Genève à l’échelle suisse est une grande ville, même si l’échelle suisse n’est pas très représentative, et, comme toute agglomération digne de ce nom, le bastion du Calviniste compte aussi parmi ses âmes quelques brebis égarées !
Ce jour là, n’ayant à disposition qu’un temps limité pour assouvir mes instincts de prédateur, je choisis de me risquer au bord de l’Allondon.
A écoute des vieilles cannes, cette rivière semble avoir connu jadis son heure de gloire. “Une vraie fête foraine” m’a-t-on dit. Il n’était pas rare de remplir son panier en une matinée à peine. Mais voilà, les hommes, au fil du temps et de la démographie galopante, ont déversé dans “ses” eaux limpides tellement d’ignominie que la belle a failli mourir plus d’une fois. Des années d’agonie, des décennies d’abandons, des stations d’épurations sous-dimensionnées, des tentatives de bétonnage, bref le cocktail habituel de la bêtise humaine. Puis la prise de conscience d’une poignée d’illuminés persuadés de la richesse du site rejoints peu à peu, dans un élan de bon sens, par une armée de volontaires animés de cette nouvelle foi providentielle : l’écologie. L’Allondon paraît renaître depuis quelques années, même si tout reste encore fragile. Saison après saison la nature reprend ses droits et efface du mieux qu’elle peut les stigmates de son supplice. Lire la Suite

La truffe des rivières

Quand un pêcheur à la mouche voit se profiler à l’horizon un week-end prolongé et de surcroît quand ce même pêcheur à la mouche n’est soumis à aucune contrainte familiale, à quoi peut-il bien songer ?
Je vous le donne en mille ! Son unique désir, sa seule préoccupation, est de se donner corps et âme à la pratique de son Art : la pêche à la mouche.
Le mois de mai, si cher aux moucheurs, jouait de ses premières chaleurs offrant ainsi aux rivières le suc de la renaissance. Les éclosions prenaient peu à peu leur rythme laissant présager des journées mémorables. Les congés de la Pentecôte approchaient à grands pas et je m’étais fait un devoir de résoudre le problème qui occupait toutes mes pensées : capturer ma première truite sauvage.
Si je pêchais avec acharnement depuis près d’une saison déjà, je restais néanmoins un éternel puceau, une sorte de maître zen de la bredouille. Mademoiselle Fario et consœurs s’obstinaient sans impunité à refuser mes mouches et la chose commençait sérieusement à éroder ma détermination. Savoir que j’étais incapable de leurrer, ne serait-ce que le plus petit représentant de la plus insignifiante sous-espère d’animal à nageoires, me noircissait le moral. Il devenait par conséquent vital que j’accomplisse enfin le fameux rite de passage : rite consistant à utiliser, au moins une fois dans ma vie, mon épuisette à autre chose que d’y emmêler ma soie !
Saint-Pierre, le Saint patron des adeptes de la gaule ne s’était pas montré miséricordieux avec l’humble pêcheur que j’étais. Il m’avait mis à l’épreuve plus d’une fois, mais je me sentais capable de lui tenir tête et de relever un nouveau défi. Lire la Suite

Le Sedge Capillair’s killeur

Bertrand tenait absolument à me faire découvrir le pays d’Argentat aux confins de la Corrèze, où serpente la mythique Dordogne, ses truites, ses ombres et accessoirement son “croustillant de foie gras frais aux pommes et jus de truffe”. Selon lui, l’endroit avait su garder en mémoire la trace d’un passé glorieux où les bateliers avaient offert à la ville ses lettres de noblesse. Bertrand s’y rendait une ou deux fois l’an, non pas pour parfaire sa culture générale ou aiguiser son goût immodéré pour la gastronomie du terroir,
mais pour y pêcher à la mouche. Il m’avait dit tellement de bien sur la Dordogne et son patrimoine halieutique, que je trépignais d’impatience d’y connaître un franc succès en ramenant à “l’épuisette” quelques beaux poissons.
Ce qui m’est le plus pénible à la pêche, c’est la route qui y conduit ! Et Dieu sait qu’entre la Suisse et la Corrèze la route est longue. La France est un beau pays certes, mais la traverser presque entièrement dans le sens de la largeur le séant collé aux sièges en cuir d’une voiture, tout confort ou pas, peut devenir d’un ennuyant à mourir ! J’ai beau faire et refaire dans ma tête les parties de pêche à venir, les heures me semblent s’étendre à l’infini. Au moment, où le désespoir le plus total commence à gagner tout mon être, je vois du coin de l’oeil le panneau “Argentat” 20 kilomètres ! Sortant d’un coup de ma léthargie, je n’ai subitement qu’une idée en tête : plonger dans mes waders, me saisir de ma Winston et voler vers la rivière pour y détendre mes muscles engourdis. Lire la Suite

LE KIT DECATHLON

Le temps d’incubation a été très court. J’ai développé tous les symptômes du virus en moins d’une semaine ! La maladie de Bertrand est aussi contagieuse que la petite vérole, simplement le mal ne se voit pas de l’extérieur, pas de pustule, aucune lésion cutanée, rien. C’est à l’intérieur que le désordre s’opère. En un mot, je suis complètement chamboulé. Ma vie vient de subir un cataclysme majeur, une sorte de tsunami emportant sur son passage la moindre de mes certitudes. Chaque jour je deviens un peu plus cet autre dont j’ignore tout, un mutant aux prises avec une obsession grandissante, un besoin irascible de patauger dans l’élément liquide. Mes nuits se peuplent de rêves inattendus, parfaitement loufoques, où il est sans cesse question de « fouets », de « mouches » et de « poissons ». À peine levé, au lieu d’ouvrir ma lucarne sur le monde en lisant la presse quotidienne, c’est plongé dans les magazines halieutiques que j’entame mes journées, toujours à la recherche de la compréhension de la « chose ». Et croyez-moi, c’est tout un univers qu’il me semble falloir maîtriser tellement le sujet paraît vaste, une science précise, vieille de plusieurs siècles, ne laissant aucune place au hasard ! Lire la Suite